Les uns après les autres, les moulins perdent leurs ailes, et même leur toit, de manière à ne plus être considérés comme des édifices imposables. Rares sont ceux dont l'activité perdure après 1900, à l'image du moulin de la Sablière, à Floirac, exploité jusqu'en 1944. Certains moulins sont réutilisés en belvédère d'où le regard embrasse le panorama jusqu'à l'estuaire. Tel est le cas du moulin de la Tour de Poupot, à Saint-Fort-sur- Gironde, transformé en 1880 dans le goût néo- médiéval de l'époque par Ferdinand Petit, directeur de la minoterie de Port- Maubert. La tour était très appréciée, dit-on, par son frère, Mgr Fulbert Petit, archevêque de Besançon qui, lorsqu'il séjournait à Saint-Fort, aimait célébrer des offices dans la chapelle aménagée au premier étage.
Phares, amers et balises
La navigation sur la Gironde n'est pas aisée, en particulier dans son embouchure, entravée par des bancs de sable dont la forme et l'emplacement ne cessent de changer. Dès le XVIe siècle, les cartes marines en font état, invitant les marins à la plus grande prudence, tout en indiquant les rades où s'abriter en période de tempête. Pour se frayer un passage, les navigateurs ont surtout besoin de repères, visuels et/ou lumineux, positionnés sur les côtes et à prendre en alignement pour déterminer les passes à emprunter. Au fil des siècles, les riverains et les autorités n'ont eu de cesse de développer de tels repères, profitant des progrès technologiques, tout en devant souvent composer avec les nécessités du milieu.
Avant d'envisager la construction de repères visuels ou lumineux, les navigateurs prennent l'habitude de se guider à l'aide d'éléments naturels ou construits par l'homme, situés sur les rives de l'estuaire et s'inscrivant dans leurs paysages. Parmi ces repères, outre les moulins à vent dont il a été question précédemment, des arbres et des bois sont souvent mentionnés sur les cartes de navigation ou par les observateurs des XVIIe et XVIIIe siècles. À Saint-Seurin-d'Uzet, sur la hauteur dominant le port, là où se trouvait le bourg jusqu'au XVIIe siècle, un petit bois sert ainsi de repère jusqu'à ce que l'hiver de 1709 le réduise à néant. À Saint-Palais-sur-Mer, un autre bois de chênes verts, appartenant au seigneur du Logis de Saint-Palais, est acheté en 1773 par l'État de manière à assurer sa pérennité. Il reçoit dès lors le nom de Bois du Roi, un nom qui demeure dans la toponymie actuelle, alors que le bois a disparu depuis le XIXe siècle. Le bois était délimité par des bornes en pierre dont il reste un exemplaire au 3, corniche des Pierrières.
Dès le XVIIe siècle, les autorités royales n'ont de cesse de s'approprier et d'améliorer les repères présents le long de l'estuaire, à commencer par les clochers d'églises. Ceux de Saint-Palais-sur-Mer et de Royan font particulièrement l'objet de cette attention car ils sont très utiles pour la traversée de l'embouchure de la Gironde. Placés en alignement avec d'autres repères, ils permettent de déterminer les passes à emprunter pour éviter les bancs de sable. Dès le XVIIe siècle, le vieux clocher octogonal de l'église de Saint-Palais est surélevé de plusieurs mètres à l'aide d'une tour qui vient coiffer le clocher roman. L'ensemble, fragilisé par sa hauteur, les vents et la foudre, s'effondre à plusieurs reprises. En 1768, sa reconstruction est comprise dans un vaste programme d'amélioration de la navigation sur la Gironde entrepris par l'État. En 1771, une flèche en charpente haute de 16 mètres vient prolonger la tour en pierre, le tout atteignant une hauteur de 58 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette flèche est détruite par la foudre en 1804. Seule la tour en pierre est reconstruite. Peinte en noir et blanc de manière à être encore plus visible, elle sert d'amer jusqu'au début du XXe siècle puis est déclassée en 1914. Quelques décennies plus tôt, en 1852, les enjeux de la navigation sont aussi pris en compte pour la construction du nouveau clocher de Mortagne-sur-Gironde : situé dans le bourg, en retrait par rapport à la rive, sa flèche doit être suffisamment haute pour être vue par les navigateurs.
Pour compléter ces repères déjà existants, les autorités décident très tôt d'en créer de nouveaux. Elles prennent notamment rapidement conscience de la nécessité de disposer des repères de part et d'autre de l'entrée de la Gironde, sur la pointe de la Coubre comme sur celle de Grave. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la pointe de la Coubre, que la forêt n'a pas encore fixée, est extrêmement changeante, au gré des vents et des courants qui, poussant les sables, modifient la physionomie des lieux en surface comme sous l'eau. Dès 1690, une balise en bois pouvant porter un fanal est positionnée à la pointe de la Coubre. Reconstruite vers 1745, une "tour en bois" est citée sur la carte de Cassini au milieu du XVIIIe siècle, ainsi que sur la carte de la Gironde par Desmarais en 1759.
De 1768 à 1771, le programme d'amélioration de la navigation dans l'embouchure de la Gironde, établi par les autorités royales, ajoute à ce dispositif deux balises en bois à la baie de Bonne Anse, en plus de deux tours sans feux lumineux construites l'une au Chay (Royan), l'autre à Terre- Nègre (Saint-Palais-sur-Mer). Renversée par une tempête en 1785, la tour principale de la pointe de la Coubre est remplacée par une tour en pierre de 26 mètres de haut qui semble porter un feu. Ces différentes tours et balises sont indiquées sur la carte de la Gironde par Teulère, établie en 1776 et révisée en 1798. Suivant les instructions de Teulère, la tour en pierre est repeinte en noir pour mieux se distinguer des dunes de sable qui l'entourent. En 1830, elle est remplacée par un fanal en bois, déplaçable selon les besoins et l'évolution des bancs de sable à indiquer. Cette tour en charpente est elle-même remplacée par une nouvelle tour en pierre en 1841, à laquelle succède une autre tour en charpente, pyramidale, en 1860.
Beaucoup plus en amont, et à mesure qu'ils s'avancent dans la Gironde, les navires manquent de tels repères surélevés, lumineux ou non, se détachant sur le paysage de la côte. Au sud de Talmontsur- Gironde, les coteaux et les villages s'éloignent de la rive dont ils sont séparés par des marais de plus en plus profonds. Clochers et moulins s'avèrent trop lointains pour être vus. C'est sans doute la raison pour laquelle les autorités établissent, vraisemblablement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ou au début du XIXe, quelques amers, des repères pyramidaux en pierre de taille qui, depuis l'estuaire, apparaissent comme des pointes blanches au sommet des coteaux. Une telle pyramide se trouve à Barzan, sur le plateau de la Garde qui surplombe l'ancien site antique du Fâ. Haute d'environ quatre mètres, elle présente ses quatre faces, aux angles moulurés, vers chacun des quatre points cardinaux. Elle porte plusieurs inscriptions, dont la plus ancienne est datée de 1844. À Saint-Fort-sur- Gironde, un autre amer, cette fois de forme conique, domine le tertre de Beaumont. Reconstruit en 1875, il comprend un volume intérieur, accessible par une porte, et possède une petite ouverture à son sommet où l'on devait probablement placer un feu en guise de signal lumineux.
Le recours aux balises et aux amers, qu'ils soient lumineux ou non, présente toutefois d'importants inconvénients : les amers sont bien visibles le jour mais pas la nuit, et les feux au sommet des fanaux lumineux doivent être régulièrement entretenus, sinon rallumés car éteints par le vent. Dès la première moitié du XIXe siècle, on opère donc des améliorations destinées d'une part à protéger et mieux entretenir les feux, d'autre part à mieux signaler les côtes et les bancs par un système qui alterne les feux de différentes couleurs. Aux balises, fanaux et amers succèdent alors les phares. En 1838, une lanterne provisoire, remplacée par un feu définitif en 1842, est ainsi établie dans une cabine au sommet de la tour de Terre-Nègre, après plusieurs essais visant à obtenir la lumière la plus intense et la plus visible possible. Le nouveau phare de Terre-Nègre, complété par un autre plus petit pour créer un alignement, est équipé en 1899 d'un feu clignotant à secteurs colorés blanc, rouge et vert. Il sera électrifié peu avant 1939.