Il ne faut pas s’étonner si,avec tant d’aimables qualités, il eut de si hautes pensées, de si nobles, mais si dangereux et blâmables désirs, et s’il eut le bonheur de persuader ceux qui en ont été les témoins, que ses respects ne furent point importuns ».
À travers la délicatesse des propos, on croit comprendre qu’Anne d’Autriche aima peu ou prou son bouillant adorateur. Il est vrai aussi que la jeune reine (elle avait alors vingt-quatre ans) avait en Louis XIII un mari assez peu empressé. Selon l’expression du nonce catholique venu demander des comptes, il avait mis un certain temps à « parfaire son mariage ». Il est vrai aussi que ce mariage s’était fait surtout par la volonté de sa mère à laquelle il avait dû céder, n’ayant que quatorze ans, tout comme la jeune épousée. Il est notoire que malgré des visites régulières à sa femme, le roi préférait de beaucoup la compagnie de ses jeunes écuyers et fauconniers avec qui il pouvait parler de ses chiens, de ses oiseaux et de la chasse qui était de loin son occupation favorite.
« Le diable »et « le péché » pour compagnes
Cela étant, la reine est loin d’être irréprochable. Elle entretient avec son pays d’origine une correspondance secrète. Ses compagnes préférées sont la princesse de Conti, surnommée « le péché » par Louis XIII, et la duchesse de Chevreuse en qui Richelieu voit « le diable ». Cette dernière, veuve du duc de Luynes et remariée avec le duc de Chevreuse, est une collectionneuse d’amants et une comploteuse impénitente qui méritera plusieurs fois d’être exilée. Louis XIII lui garde rancune car un jour, au Louvre, elle a entraîné la jeune reine dans une glissade qui s’est terminée par une fausse- couche. Intendante de sa maison, elle entretient dans l’esprit de sa maîtresse une effervescence romanesque, lui faisant lire L’Astrée, le roman à épisodes d’Honoré d’Urfé, si prisé des Précieuses. Lui parlant constamment de Buckingham, « le plus bel homme de son temps », elle l’a amenée à s’intéresser à lui plus qu’il ne faudrait. Un peu naïve, Anne d’Autriche, qui est attrayante, aime les hommages, et comme l’écrit La Rochefoucauld « Avec beaucoup de vertu, elle ne s’offensait pas d’être aimée ».
Pour ce qui concerne la scène du jardin d’Amiens, la princesse de Conti précisera qu’ « elle garantissait la vertu de la reine de la taille jusqu’aux pieds, mais, de la taille jusqu’aux pieds seulement ».
On comprend aisément qu’à la suite de cet intermède, Buckingham se soit vu interdire de revenir sur le sol de France. Il en est furieux. De retour dans son pays, il déclare à qui veut l’entendre qu’ « il verra cette dame et lui parlera en dépit de toutes les puissances de France » et même qu’ «[il fera son] chemin vers Paris à la tête d’une armée ».
Le siège de la citadelle de Saint-Martin
En cette fin d’été 1627, Toiras et ses hommes connaissent des moments difficiles. Il faut dire que l’édifice, inachevé, n’est pas couvert sur toute sa surface. L’approvisionnement est insuffisant, ce que Richelieu reprochera plus tard au gouverneur. La literie manque, ainsi que les médicaments et le vin. Un seul puits à l’intérieur permet d’avoir de l’eau potable. On recueille l’eau de pluie quand c’est possible. Dès le début, le chef organise un rationnement en nourriture et en boisson. On est assez vite obligé
de manger les chevaux que, de toute façon, on ne peut pas nourrir. Bien renseigné, Buckinghamcompte d’ailleurs sur la famine pour obliger les assiégés à se rendre. Heureusement, Toiras reçoit une lettre du roi, datée du 24 août, qui le réconforte : « Je vous prépare un grand secours pour vous libérer du siège, attendant que vous continuiez avec la même résolution et passion… pour le bien de mon service et de cet État ».