En 1863, il put réaliser un rêve. Une propriété était en vente dans mle village de Migron, non loin de Cognac, mais déja en Charente Maritime.
Ce château, construit entre la Renaissance et le XVIIème siècle, est entouré de douves alimentées par une dérivation de l'Antenne, petite rivière affluente de la Charente. Aux trente hectares de la propriété, il ajouta des vignes de Fins Bois. Surtout, il installa dans les communs une distillerie de huit alambics, de chacun vingt-cinq hectolitres, produisant 20 000 barriques chaque année, encore en activité en 1918.
Le collaborateur principal dans une maison de cognac est le maître de chai. Il est le maître d’œuvre à chaque étape, en symbiose avec le viticulteur, le distillateur, le tonnelier. Dans le chai, il veille à la réalisation ducognac, réduction du degré pour le commercialiser à 40°,compensation de la part des anges, évaporation de 2 à 4 % chaque année, et assemblage des cognacs pour une qualité constante.
Les qualités des maîtres de chai, don, capacités sensorielles, expérience mémorielle, expliquent la fréquence des familles de maîtres de chai, Jean et Ernest Marsay, puis Justin et Léonce Touzinaud, à la Maison Renault.
À l'origine de l'aventure du cognac, de nombreux étrangers, Hollandais, habitants de la Scandinavie, Suède et Norvège, et de la Grande-Bretagne, faisaient commerce avec la Charente depuis plusieurs siècles. Ce commerce maritime s'organisait selon le principe des allers-retours. Les bateaux apportaient leur marchandise, charbon, houille, bois ou salaisons, et repartaient avec une autre cargaison, de sel et de vin des Charentes. Les Hollandais, les premiers, brûlèrent le vin, car il ne supportait pas le voyage, sinon à donner du vinaigre. Distillé en eau-de-vie, un gain de volume était obtenu, puisque dix litres de vin donnent deux litres d'eaux-de-vie. En allongeant celle-ci d'eau claire à l'arrivée, ils reconstituaient approximativement le vin, ce que l'on appelait du brandy, "vin brulé" en hollandais.
Les habitants de ces pays lointains, arrivés dans leurs navires, étaient reçus dans les comptoirs, comme celui de la rue des Cordeliers où se font la dégustation et le commerce.
Mais pour développer le négoce, il faut aussi se déplacer à la recherche de correspondants locaux et à la rencontre des clients. Ceci est la mission des commis-négociants. Devenu négociant, Antonin voulut poursuivre ces voyages. Ils étaient plusieurs à partir ensemble pour de longs périples sur les mers, dans des bateaux peu confortables, naviguant au gré du vent, sans moyens de communication.
Les qualités reconnues des négociants en eaux-de-vie de cognac au XIXème siècle, qu’il possédait, étaient la sélection des vignobles, les achats judicieux d’eaux-de-vie, les bonnes relations avec les vignerons et les bouilleurs de cru, intimement liés aux négociants par des intérêts communs, et la gestion savante des stocks et des investissements.
La réussite de mon trisaïeul Antonin Renault tient aux circonstances de l’époque où le cognac connaissait un développement extraordinaire dès les années de la fondation de la Maison Renault en 1835. Ses innovations, comme la vente en bouteille, lui sont reconnues. Il profite également du développement du commerce avec la Grande-Bretagne depuis la signature du Traité de Libre-échange en 1860.
Antonin Renault avait des qualités de gérant, d’homme d’affaires visionnaire, et sa réussite commerciale est attribuée à sa cordialité et à sa bonne humeur. Il avait naturellement la fibre de l’entrepreneur et du commerçant. De nos jours, il aurait été considéré pour son charisme.
La Maison Renault était grande parmi les petites.
En 1868, elle était au cinquième rang des expéditions du port de Tonnay-Charente pour l’Angleterre, derrière Hennessy, Martell, Salignac et Otard.